Ces vins latins devenus des références contemporaines

Si la Géorgie, la Phénicie (Liban actuel), puis la Grèce sont considérées comme les berceaux du vin, l’Italie, la France, l’Espagne et le Portugal sont rapidement devenus les références viticoles mondiales. L’avènement du christianisme, l’implantation de monastères en Europe de l’Ouest au cours du premier millénaire, puis la conquête des autres continents par ces quatre pays au second millénaire, vont asseoir la suprématie des pays dits latins en tant que producteurs de vin. À travers le message biblique qui véhicule la consommation du vin, le clergé va contrôler l’élaboration de ce dernier pendant quinze siècles.
L’Italie, la France, l’Espagne et le Portugal forment aujourd’hui le quatuor des plus grands pays viticoles, les plus populaires et les plus convoités. Leurs différentes régions viticoles ont un point commun : toutes ont été édifiées par les moines cisterciens, bénédictins, chartreux ou franciscains. Le terme cru – qui vient du verbe croître – est aujourd’hui associé à l’excellence vinique grâce à eux parce que, bien entendu, ce sont les moines qui avaient la tâche de diriger l’agriculture pour les seigneurs locaux.
Il faudra attendre les révoltes de la Renaissance et, surtout, les révolutions civiles de la fin du 18e siècle en Europe, particulièrement en France, pour que les terres agricoles et viticoles soient redistribuées au peuple. La démocratisation du vin se fera alors à travers sa commercialisation internationale, elle qui n’avait été que nationale, à quelques rares exceptions près.
N’est-il pas singulier de constater que ce ne sont pas Dijon, Lyon, Turin, Florence, Barcelone, Lisbonne ou Coimbra qu’on cite en exemples viticoles, mais bien des villages qui bordent ces métropoles, des villages qui auraient été pratiquement méconnus s’ils n’avaient pas été élevés au rang de cru?
Les grands vins d’aujourd’hui, tous ces noms qui font rêver comme Vosne-Romanée, Aloxe-Corton, Barbaresco, Barolo, Châteauneuf-du-Pape, Saint-Émilion et bien d’autres, étaient essentiellement consommés par les seigneurs locaux. Parfois, certains buvaient un vin venu de loin, offert en présent par un invité prestigieux étranger ou diplomate. Toutefois, cette découverte n’entraînait pas l’ouverture d’un futur échange marchand, elle était anecdotique, éventuellement répertoriée par un secrétaire.
Les vins qu’on va faire voyager, qu’on va vendre à des milliers de kilomètres de leur lieu d’origine seront, au début, des vins éconduits par l’élite, des vins rejetés parce qu’ils étaient considérés comme âcres ou acidulés, indigestes et mauvais. Et là encore, ce sont les moines qui trouveront la solution pour les arranger, les améliorer et surtout, y trouver une source de revenus. Ainsi naissent Porto, Madère, Jerez, Malaga, Marsala, Rivesaltes et autres douceurs viniques alimentées par du sucre et de l’eau-de-vie qui permettent au mauvais vin de devenir bon et… sollicité! Portugais, Espagnols, Italiens et Français se partagent l’élaboration grâce à leurs ordres monastiques, tandis que les Anglais s’approprient le commerce.
Le correcteur du vin d’alors, au milieu du 18e siècle, c’est l’eau-de-vie de fruits ou de plantes. Deux cents ans plus tard, ce seront les produits chimiques et systémiques, issus de laboratoires financés par les états qui s’imposeront! Le réveil écologique est tardif, la génération 2000 a soif de vin dit nature, peut-être plus sain. Le troisième millénaire sonne un retour aux sources… latines : les vins biologiques et biodynamiques ont le vent dans les voiles et l’on prévoit que 20 % de la production mondiale de vin en 2030 sera biologique.
À l’heure où la vigne est adaptée à tous les sols et à toutes les latitudes, où même des pays qui ne sont pas naturellement considérés comme viticoles tels que l’Angleterre, le Canada, la Belgique ou la Pologne élaborent de très bons vins, où puise-t-on désormais les fondements des meilleures vinifications? Dans les écrits des moines médiévaux qui, eux-mêmes, s’inspiraient de sources latines!
Rédacteur : Guénaël Revel
Photo couverture : © Adrien Olichon