Champagne, quand le luxe donne la main au patrimoine artistique

Depuis la nuit des temps, l’art et le vin sont intimement liés puisque tous les deux naissent de la sensibilité, de l’observation et de la créativité. Et tous les deux provoquent émotion et fascination. Un vin, plus que les autres, est particulièrement attaché à la création artistique de toute sorte : le champagne. Et si l’on pense aujourd’hui que les bulles de la Marne ont conquis les plus fins palais dès leur apparition à la fin du 17e siècle, il n’en est rien! Expert en champagne, Guénaël Revel présente celui qu’on nomme l’empereur des vins, qui a été pourtant éconduit pendant presque un siècle et dont quelques artistes peintres ont participé à la renommée.
Le champagne qui pétille ne représente que 30 % de la production viticole de la Champagne au 18e siècle. La région élabore et vend surtout du vin tranquille gris, issu de l’assemblage des cépages noirs et des cépages blancs locaux. Quand le vin est blanc, il est flou, et quand il est rouge, il est en fait mauve et on l’appelle clairet.
Pour le rendre effervescent, il faut d’abord que le contenant soit solide, car ce qui diffère la bouteille de champagne de toutes les autres bouteilles de vin, c’est qu’elle est avant tout un outil : c’est grâce à elle que le vin tranquille se champagnise. Il devient mousseux grâce aux levures contenues dans la bouteille, qui doit être très résistante.
Les bouteilles d’alors sont encore mal soufflées; l’épaisseur de leur paroi et leur silhouette sont irrégulières, le bouchon qui les obture n’est pas fiable et surtout, le gaz carbonique naturel qu’elles renferment – né des levures mortes – n’est absolument pas contrôlé. Il provoque des explosions, à la fois en cave et dans les caisses de transport, ou il ne provoque rien du tout, car il n’y en a pas assez.
Pendant deux siècles, lorsqu’on achète du vin de Champagne, son effervescence n’est pas garantie. Empirique pendant des décennies, la méthode champenoise ne sera véritablement maîtrisée qu’après la Première Guerre mondiale.
Les premiers amateurs de champagne mousseux ne sont pas nombreux; ils sont issus de l’aristocratie européenne et curieusement, ils ne sont pas français, mais anglais. Comme souvent avec ce qui est nouveau en matière culinaire (thé, porto, épices), les Britanniques défrichent, puis diffusent! Les cours française, russe et allemande feront rapidement les beaux jours des maisons de Champagne de 1730 à 1880. Toutefois, le champagne tel qu’on le connaît aujourd’hui deviendra populaire et plus accessible à la fin du 19e siècle.
Louis XIV n’aimait pas le champagne, Louis XV l’appréciait pour faire plaisir à ses maîtresses, Louis XVI préférait le vin tranquille, Napoléon n’en consommait que dans les célébrations (il préférait le vin de Bourgogne), Louis XVIII aimait les vins sucrés, Charles X préférait les eaux-de-vie, Louis-Philippe 1er permit l’essor de grandes maisons sans consommer leur vin et Napoléon III l’appréciait modérément, même si les premières publicités des marques de champagne se développent sous son règne. Et c’est justement sous le règne de ce dernier que les artistes entrent en scène pour véhiculer le plaisir de vivre à travers le vin qui fait « pop »!
Quelques artistes-peintres de la période romantique, puis impressionniste présentent les bouteilles ventrues, déjà reconnaissables, dans leurs œuvres qui illustrent des scènes de cabarets, de mondanités ou de pique-niques; ils donnent des idées de publicité – les premières – aux directions des marques de champagne qui, à l’aube du 20e siècle, commandent des affiches aux illustrateurs Cappiello, Steinlen, Toulouse-Lautrec, Mucha et, bien plus tard, Loupot, Villemot, Gastou ou Savignac.
C’est ainsi que naissent les bouteilles rares! Celles à la silhouette ancienne, inspirée d’un flacon d’époque retrouvé dans une crypte et dont on fait un champagne de prestige : Dom Pérignon, La Grande Dame de Veuve Clicquot, Dom Ruinart, Comtes de Champagne de Taittinger et d’autres… Chaque marque développe sa cuvée de prestige autour de son histoire personnelle en faisant intervenir des artistes qui « silhouetteront » ou habilleront les flacons. La collection Taittinger démontre le lien solide entre l’art moderne sans frontières et le champagne : Vasarely, Masson, Da Silva, Lichtenstein, Hartung, Imaï, Arman, Corneille, Matta, Zao Wou-Ki, Rauschenberg, Amadou Sow ou Sebastião Salgado ont ainsi laissé leur signature sur des bouteilles que les collectionneurs se disputent.
Puis il y a les arts qui s’installent dans le paysage champenois à travers l’architecture des domaines, souvent ignorée du grand public qui circule autour, sans y prêter attention, alors qu’il déambule au cœur d’un véritable patrimoine. Pommery, Charles Heidsieck, Lanson, L. Roederer ou Krug présentent des établissements aussi fascinants qu’entretenus. Certes, les crayères de Reims ou les caves creusées d’Épernay apparaissent plus impressionnantes et participent à la légende du champagne : on pénètre dans un monde souterrain mystérieux où des galeries ont été sculptées par des artistes connus et où des millions de bouteilles dorment dans l’obscurité. Une chose est certaine, on en ressort avec une seule envie : déguster ces bulles magiques!
C’est donc une invitation à visiter la Champagne qui, davantage qu’une autre région viticole, a été le témoin de l’histoire de France depuis la Rome antique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et a toujours participé à l’essor des arts plastiques. Les deux cuvées suggérées ici illustrent ces propos, démontrant que le terme « luxe » peut être aussi synonyme d’authenticité, quoi qu’en pensent certains…
Champagne L. Roederer – Cuvée Starck Brut Nature 2012
France, Champagne, 750 ml
CODE SAQ : 12641850
PRIX : 116,75 $
Symbole d’énergie, de richesse et de tension, ce champagne – d’édition limitée et pourtant accessible – conjugue le talent du designer Philippe Starck au savoir-faire de l’équipe œnologique de la maison Louis Roederer.
Champagne L. Roederer – Cuvée Cristal 2013
France, Champagne, 750 ml
CODE SAQ : 268755
PRIX : 391,25 $
Ce millésime offre la pureté du terroir champenois presque saline et le fruité très mûr d’une salade de fruits blancs. Et comme toujours avec cette cuvée, vous pouvez l’oublier dans votre cellier pendant plusieurs années, le temps va la sublimer!
Rédacteur : Guénaël Revel
Couverture : © Champagne Louis Roederer